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Photo du rédacteurlacanopeefleurie

Décryptage du prix d'un produit

Dernière mise à jour : 30 oct.

“Nous sommes des entrepreneur-es, pas des “petits créateurs”.”. C’est ce que revendique Myrtille du collectif Les Mains dans son “Manifeste pour la reconsidération et la revalorisation de l’entreprenariat créatif”. Et comme elle le dit bien, même si on est arrivé dans ses métiers créatifs pour “créer”, nous ne pouvons pas pérenniser nos activités sans vendre; et ce à des prix qui nous garantissent un salaire.


Je sais que les prix de l’artisanat sont aux yeux de beaucoup de gens incompréhensiblement élevés et j'essaie au quotidien d'être pédagogique sur ce sujet pour expliquer comment sont fixés mes prix et pourquoi je ne peux pas vendre mes produits moins chers. Je te propose donc dans cet article de décortiquer ensemble le prix de mon produit le plus emblématique : le sac banane 3 poches.


Tu peux d'ores et déjà voir ci-dessous la répartition de tous les postes qui entrent en compte dans le prix actuel de ce produit. Et je t'invite à lire la suite pour tout comprendre !


Premier prix : 60€

Le sac banane 3 poches c’est le tout premier produit que j’ai développé, avant même de me lancer à 100% dans mon nouveau projet professionnel et de créer ma boîte. Je l’ai dessiné pour moi, à une époque où le sac banane revenait encore timidement sur le devant de la scène, et dans le soucis de créer un sac pratique qui me suivrait au quotidien. Il a donc été créé avec 4 poches au total, dont une disparaîtra par la suite. Suite à ça, de nombreuses personnes de mon entourage m’ont demandé de leur faire la même, ce à quoi j’ai rétorqué que c’était trop long à faire. Quelqu’un a suggéré de me payer pour, et là, les prémices de l’aventure de La Canopée Fleurie ont été lancés.


La question du prix s’est alors posée pour moi et ma première réflexion a été :

  • comptabiliser le prix du matériel

  • comptabiliser mes heures de travail et multiplier par le SMIC horaire

  • additionner les deux pour déterminer le prix de vente

Et je pense que c’est ce que chacun·e imagine au premier abord être le calcul du prix d’un produit. A ce moment là et selon cette logique, j’avais alors fixé le prix de ce sac banane à 60€.

Ma mère avec un de mes tout premiers sacs banane en mars 2021


Deuxième prix : 70€

Payer ses charges

La vérité c’est que quand on est créateur·ice, on est avant tout entrepreneur·e.

On gère donc une entreprise et cela signifie des coûts variables (cotisations, matériaux, formations…) et des coûts fixes (loyer atelier, assurances professionnelles, licences de logiciel, etc.). Et avant même de pouvoir songer à se payer, la première étape pour nous est toujours de payer nos charges. De plus, créer, c’est aussi utiliser au quotidien du matériel, parfois très onéreux. Qu’on a dû acheter initialement, qu’il faut entretenir et réparer régulièrement, voire racheter un jour.


Or l’argent pour payer nos charges et notre matériel, il ne sort pas de nulle part. Tout ce qu’on a pu créer, et du coup ce que l’on va vendre, doit nous permettre de gagner cet argent. Le prix d’un objet c’est donc alors :

  • le prix des matériaux

  • le prix de la main d’oeuvre (et donc une partie de notre salaire)

  • une partie des charges fixes et variables

  • une partie l’amortissement de notre matériel


    Avec ma machine à coudre industrielle, mon outil de travail au quotidien


On imagine donc bien que le prix a déjà pas mal évolué depuis le premier calcul proposé. Or il y a encore une question sous-jacente importante et centrale : quelle est la rémunération que l’on vise ?


Fixer son salaire

En France, les métiers manuels sont encore énormément dévalués. On y envoie souvent les enfants dont le parcours scolaire ne permet pas forcément d’aller plus loin dans le cursus plus “classique”. Comme si travailler “que” avec ses mains (ce qui d’ailleurs est faux) avait moins de valeur.


Ainsi dans l’artisanat, quelque que soit nos parcours en amont, on a donc tendance à estimer que viser un SMIC est déjà largement suffisant. Or quand on est indépendant, on est pas juste “fabricant·e”. On est aussi chef·fe d’entreprise, comptable, commercial·e, etc. Or ces métiers là, qui font appel à d’autres types de compétences, sont dans le salariat beaucoup mieux payés. Est-il donc logique de viser un SMIC ?


Pour être tout à fait transparente avec vous (puisque c’est pour moi le but de cet article), je vise sur mon activité de créatrice d'accessoires un salaire de 1600€ net/mois. A titre de comparaison, le SMIC est de 1380€/nets. En vérité, je préfère parler en taux horaire, car malheureusement les 35h sont un concept (et à tort, mais c’est un autre sujet) peu respecté dans le monde de l’entreprenariat. Mon taux net horaire visé est donc de 10.4 €/h contre 9.23 €/h au SMIC. J’estime normal de viser un peu au-dessus, mais cela reste très raisonnable il me semble.


Produire ou ne pas produire

Il reste encore une question indispensable à se poser avant de pouvoir calculer un prix de vente. Je sais facilement compter le temps que je mets à fabriquer un produit. Pour moi il s’agit des étapes suivantes : choisir des tissus, les découper selon un patron, les assembler, faire les finitions. C’est le fameux travail “manuel” que l’on conçoit facilement et que l’on peut chronométrer.

Etape de production des poches à clef : fixer tous les boutons pressions


Naïvement je pensais que ces étapes représenteraient la quasi-totalité de mon travail, avec de temps en temps des heures de conception pour développer de nouveaux produits et un peu d'administratif. La réalité c’est que nos quotidiens d’entrepreneur·es sont remplis de pleins d’autres tâches.


Avant même de fabriquer un produit, il faut :

  • le concevoir, faire des prototypes, valider un mode opératoire et des matériaux,

  • commander les matières premières et les stocker correctement.


Et après la fabrication :

  • prendre des photos de son travail pour une boutique en ligne ou un catalogue de produits

  • vendre ses produits :

    • gérer son site et tous les articles en ligne puis envoyer des colis,

    • gérer une boutique physique et les heures de vente,

    • trouver des boutiques de revente, candidater, faire des envois, gérer son stock,…

    • participer à des marchés (candidater, se déplacer, rester sur places plusieurs heures).

Prendre des belles photos produits c'est aussi : être formé·e, avoir du bon matériel et ça représente beaucoup de temps.


De plus, afin que les produits soient vus et achetés ou simplement pour faire vivre l’entreprise il faut aussi :

  • communiquer sur de nombreux supports différents (réseaux sociaux, mailing, flyers, etc.) et travailler le référencement de son site

  • faire appel à des prestataires pour les compétences que l’on a pas (comptable, photographe, développeur web,…)

  • se former en continu sur des sujets métier techniques ou des compétences entrepreneuriales

  • et j’en passe crois moi !


Et si je dois être payée pour mes heures de fabrication, il en est de même pour toutes ces heures. Plutôt que de raisonner par produit, j’ai alors raisonné de mon côté sur une répartition : heures productives (je fabrique un produit) et heures non productives (tout le reste). Dans mes calculs de coût produit, je considère que je serai productive 60% du temps. Je parle au futur car c’est une projection pour mon entreprise et à ce stade j’en suis très loin; la tendance est plutôt largement inversée.


Et merci Léon Blum !

Quid des congés payés ? Quand on a pas de contrat de travail qui est encadré par ce genre d’obligations, c’est plus compliqué. Il est donc important que notre travail au quotidien nous permette de cotiser pour prétendre à des jours de repos, que l’on pourra alors considérer comme “payés”.

De mon côté, je considère que je cotise pour 30 jours de congés par an, ce qui correspond à la base pour un temps plein (25 jours/an) et 5 RTT. Parce que bon les 35h… bon on a dit que c’était un autre sujet !

Et encore je passe sous silence (et dans mes calculs d'ailleurs) les avantages du salariat que l'on a pas d'acquis et qui sont régis par d'autres règles : la retraire, les arrêts maladie ou autre, la prévoyance et la mutuelle, etc.


En mars 2024, j’augmente alors le prix de mes sacs banane 3 poches à 70€. C’est très dur pour moi de me sentir légitime à le faire. Mon fichier de calcul d’alors me dit que le bon prix est de 81€ mais je n'arrive pas à me résoudre à mettre ce prix-là. Syndrome de l’impostreur·ice bonjour !


Prix final : 90€

Finalement en août 2024, je rechange à nouveau mes prix pour deux raisons :

  • je mets alors bientôt mes produits dans une boutique qui prend 10% de commission sur le prix de vente

  • je n’ai aucune marge sur mes ventes et je me rend compte que je ferai toujours face à des charges imprévues dans ma vie d’entrepreneure.

Je me fais donc souffrance (vraiment c’est le terme) et j’augmente le prix de tous mes produits pour qu’ils incluent tous une marge de 10%.


Le sac banane 3 poches est donc maintenant à 90€. C’est dur pour moi d’avoir un produit dont le prix frôle les 100€ alors que dans l'esprit des gens habitués à des produits industriels, un sac banane coûte peut être entre 10 et 50€. Mais je sais qu’en dessous de ce prix, je ne serai pas justement rémunérée. Donc soit il se vend à ce prix-là, soit j’arrête sa production.


Maintenant que tu sais tout ça, je te propose de revoir le camembert de détail du prix que je t’avais donné au début et que tu peux lire maintenant avec un nouvel oeil.



Comme tu peux le voir sur ce produit (mais globalement la tendance est la même pour tous), la plus grosse partie du prix est expliquée par la main d’œuvre et donc ma rémunération. Cependant plus de 30% du prix correspond aux obligations de mon entreprise : cotisations, charges, matériel.


Comme je le disais au début, tout entrepreneur doit payer ses charges avant de se rémunérer. Baisser mes prix c’est donc brader la valeur de mon temps de travail. Pour voir les choses d’une autre manière, je te propose d’examiner pour différents prix de vente du sac banane 3 poches ce que je peux ou non payer :

  • en deçà de 40€, je suis dans l’incapacité de payer mes charges d’entreprise et l’URSSAF. Je “paie” donc de ma poche pour vendre un produit.

  • entre 40€ et 64€ : je paie mes charges et je me rémunère que pour une petite partie de mes heures de travail.

  • à 65€ : je paie mes charges et je me rémunère pour mes heures de fabrication. En revanche, tout mon temps de travail non productif est bénévole.

  • entre 65€ et 82€ : la totalité de mon temps de travail non productif n’est pas rémunéré OU je me paie à un taux horaire inférieur au SMIC.

  • à 83€ : je paie mon salaire proportionnellement au temps passé et toutes les charges que j’ai correctement estimées.

  • à 90€ : je dégage une petite marge pour mettre en réserve dans mon entreprise. Ainsi en cas de charge imprévue, je sais réagir. Dans d’autre cas, cela me permet de payer les commissions que j’ai dans certaines boutiques (qui sont rarement en deçà de 10%; sans compter les loyers et les temps de permanence).


En conclusion

Evidemment, se dessine en ombre les différences avec l’industrie. En effet :

  • faire des objets en masse permet des économies d’échelle importantes,

  • de nombreuses étapes de fabrication sont faites par des machines,

  • les productions sont souvent délocalisées dans des pays où la main d’œuvre est très peu chère et surexploitée,

  • le choix des matières premières se fait selon le critère du moins cher possible.

Paradoxalement, les “marges” de ces entreprises, sur des produits vendus beaucoup moins chers, sont en vérité beaucoup plus élevées, et vont dans les mains de celleux qui dirigent et pas de celleux qui produisent.


Chaque créateurice a potentiellement sa propre méthode pour fixer ses prix de vente, des charges qui lui sont propres et une prétention salariale parfois bien différente des autres. Cette analyse précise vaut donc bien évidemment pour mon cas propre. Mais toute cette méthodologie doit à mes yeux être respectée pour créer des entreprises créatives pérennes. C’est aussi la raison pour laquelle je développe aussi en parallèle une activité d’accompagnement pour les créateurices, afin de les aider dans la création de leurs outils de calculs de prix et de suivi économique de leur entreprise. Si tu es concerné·e et que ça t’intéresse n’hésite pas à me contacter 😉


Si tu es arrivé·e jusque là, merci pour ta lecture attentive.❤️ J’espère que cet article t’aura éclairé sur ce qui peut se cacher derrière le prix d’un produit artisanal. N’hésite pas à me dire en commentaire ce que tu en as pensé, si tu as appris des choses et à poser des éventuelles questions.

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